Le chemin se perd dans la lumière - Iannis Ritsos
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Le Printemps des poètes nous invite cette année à fêter la poésie de « l’Ardeur ».
Ardeur du soleil, ardeur au combat, brûlure du feu, de la douleur, ardeur de l’attachement à la terre grecque et au ciel qui l’entoure : ces thèmes sont au cœur de la poésie de Iannis Ritsos et tout particulièrement d’un recueil écrit entre 1944 et 1947, en pleine tourmente. La Grèce, occupée par les Italiens, les Bulgares et les Allemands, a été pillée, affamée, sa population décimée, ses villages incendiés, les faubourgs des villes assiégés. Un mouvement de résistance massif et très efficace s’organise dans le pays mais les manœuvres des Britanniques cherchant à l’écarter à tout prix de la reconstruction politique du pays après la défaite allemande précipitent le pays dans une guerre civile qui ne s’achève qu’en 1949.
Les vers de ce cycle de Iannis Ritsos sont une épopée de la « Grécité ». On y croise des hommes en armes, « leur main collée au fusil », en marche ou guettant dans des tours. Leur sang abreuve la terre, les maisons sont détruites, brûlées, les champs et les vignes abandonnés. Les vieilles femmes, les mères sont seules. Ces êtres humains souffrent, ont faim, soif, mais ils sont des héros de la terre grecque, ils sont ses montagnes, sa mer tempêtueuse, ses étoiles, ils sont tous les éléments, ils sont oiseaux. Le vent balaie cette terre, et sur elle, brille la lune nostalgique.
« Ah, de quel fil de soie l’étoile aura-t-elle besoin
pour que les aiguilles de pin brodent sur le muret flambé de l’été : « Ça aussi ça passera ».
Combien de temps encore la mère pressera-t-elle son cœur au-dessus de ses sept garçons égorgés
avant que son chemin ne trouve la lumière sur la pente de son être » (III, vers 15-18)
Certains vers de ce cycle poétique paru en 1954, ont été mis en musique par Mikis Théodorakis en 1966. Un an plus tard, la dictature des colonels replongeait pour quatre années la Grèce dans la nuit.
IΑὐτὰ τὰ δέντρα δὲ βολεύονται μὲ λιγότερο οὐρανό, Ἐτοῦτο τὸ τοπίο εἶναι σκληρὸ σὰν τὴ σιωπή, IVΤράβηξαν ὁλόισια στὴν αὐγὴ μὲ τὴν ἀκαταδεξιὰ τοῦ ἀνθρώπου ποὺ πεινάει, Ποιὸς θὰ σοῦ φέρει τώρα τὸ ζεστὸ καρβέλι μὲς στὴ νύχτα νὰ ταΐσεις τὰ ὄνειρα; Τὸ χῶμα τοῦτο ποὺ μοσκοβολοῦσε τὰ χαράματα Γιάνης Ρίτσος, Ρωμίοσυνη. 1944-1947. |
I Ces arbres ne trouvent pas de place sous moins de ciel,
Ce paysage est dur comme le silence, Il n'y a pas d'eau. Seulement de la lumière. Les arbres, les fleuves, les voix sont devenus marbre dans la chaux du soleil. La racine bute sur le marbre. Les joncs couverts de poussière. Le mulet et le rocher. Ils suffoquent. Il n’y a pas d’eau. Tous ont soif. Depuis tant d’années. Tous mastiquent une bouchée de soleil au-dessus de leur amertume. Leurs yeux sont rougis par les veilles, une profonde entaille coincée entre leurs sourcils comme un cyprès entre deux montagnes au coucher du soleil.
IV
Ils ont marché tout droit dans l’aube avec le dédain de l’être humain qui a faim, entre leurs yeux calmes un astre s’est figé sur leur épaule ils transportaient l’été blessé.
Qui t’apportera maintenant dans la nuit la chaude miche pour que tu nourrisses tes rêves ? Qui se tiendra dans l’ombre de l’olivier tenant compagnie à la cigale, pour que la cigale ne se taise pas, maintenant que la chaux de midi peint le muret tout autour de l’horizon effaçant leurs grands noms virils?
Cette terre qui embaumait à l’aube la terre qui était la leur et la nôtre – leur sang –comme elle sentait la terre – Et maintenant qu’ils ont fermé leur porte et nos vignes comment la lumière baissera-t-elle sur les toits et dans les arbres qui pour dire que la moitié d’eux se trouve quelque part sous la terre et l’autre moitié dans les fers ?
Iannis Ritsos, Grécité, 1944-1947. Extraits traduction Odysséas Boudouris - C.M. |